POPULATIONS EN DANGER
Les populations locales sont victimes d’une spoliation de leurs terres dans de nombreux endroits en Indonésie. Souvent ce sont des projets estampillés « priorité nationale » par le gouvernement de Jakarta qui en sont la cause. L’industrie du nickel n’échappe pas à la règle et engendre la délocalisation de villages entiers pour l’implémentation de mines et/ou de complexes industriels.
Le cas le plus connu et médiatisé est bien sur celui de la concession minière de Eramet et Tsingshan à Halmahera où la concession de 55 000 ha empiète largement sur les terres ancestrales du peuple Hongana Manyawa. Survival International y dénonce une situation génocidaire.
Des ONGs telles que WALHI et JATAM, plutôt spécialisées dans l’accompagnement et l’aide juridique aux populations locales, rapportent de nombreux cas de non prise en compte des demandes des populations, des projets imposés sans aucune concertation ni enquête publique.
Des communautés empoisonnées aux métaux lourds par les mines
Dans la Baie de Mandiodo, toujours en Sulawesi Tenggara, les communautés Bajau ont vu les poissons se raréfier et presque disparaitre de leurs zones de pêche. Les Bajau, peuple de pêcheurs par excellence, sont dépendants des ressources marines pour leur survie. Dans cette baie la population consomme maintenant en grande quantité des mollusques filtreurs appelés « Lola » pour compenser la disparition des poissons. Or, le Pr. La Ode Aslan (Université Halo Oleo – Kendari) a trouvé des concentrations anormalement élevées de cadmium dans ces coquillages [1]. Le cadmium est classé « cancérogène certain ».
Ancienne école dans la mine de Mandiodo, le village a été délocalisé à quelques kilomètres, où les populations vivent dans les effluents contaminés de la mine. (Source : V. Romera - juillet 2024)
Dans le cadre du projet Indonesian Konawe Industrial Park (IKIP), des villages entiers se retrouvent dans les périmètres des mines. Dans l’un de ces villages, Walandawe, de nombreuses personnes sont clairement opposées à l’extraction de nickel sur la commune. Aucune enquête publique n’a été faite, comme pourtant la loi l’oblige normalement. Totalement désabusés et abandonnés à leur sort par les autorités, les habitants ont récemment défriché de grands espaces de forêts pour les convertir en parcelles agricoles dans le but de lutter contre les mines ! En effet, si les exploitants miniers n’ont aucun problème pour avoir les autorisations afin de raser des forêts primaires, même lorsqu’elles sont classées « forêt protégée », les habitants de Walandawe espèrent qu’il sera plus difficile pour les mines de détruire légalement des terres agricoles.
Forêt ultramafique rasée pour planter des poivriers dans l’espoir que cela ralentisse l’implémentation d’une mine de nickel. Carte : en rouge les concessions minières autorisées en phase d’exploration et exploitation (IUPs). L’explosion des mines dans la nord de la province Sulawesi Tenggara s’accompagne de projets d’axes routiers pour desservir les concessions (en jaune). Déjà une large piste existe pour relier le plus grand complexe de transformation de nickel au monde l’Indonesian Morowali Industrial Park (IMIP) au site en construction du nouveau parc de raffinage de nickel : Indonesian Konawe Industrial Park (IKIP). Les rivières (en bleu), le lac Towuti (aire protégée), le lac temporaire Hiuka et la Baie de Matarape sont autant d’écosystèmes particulièrement sensibles qui sont menacés de destruction totale.
Sur l’île de Kabeana, l’ONG Satya Bumi a révélé les concentrations de plusieurs métaux lourds dans les urines de la population locale. La concentration de nickel dans les urines de la population de Kabaena varie entre 4,77 et 36,07 ug/L, avec une moyenne de 16,65 ug/L. Cette valeur dépasse de loin les niveaux normaux dans la population humaine. Aux États-Unis, la concentration moyenne de nickel dans les urines de la population est de 1,11 ug/L, dans les grandes villes de Beijing et Shangai, la teneur médiane en nickel de la population est de 3,63 ug/L. La population de Kabaena est donc exposée 5 à 30 fois plus au nickel que la moyenne ! [2]
Ces taux sont comparables à ceux constatés chez les ouvriers qui travaillent dans les raffineries de nickel.
Un enfant joue dans la mer contaminée à Kabaena. Source : Satya Bumi
Les jeunes enfants présentent aussi des taux inquiétants de créatinine dans les urines. Des niveaux élevés de créatinine indiquent une charge de travail anormale des reins, qui est expliquée par une exposition aux métaux lourds, en particulier le cadmium.
Les enfants Bajau seraient particulièrement concernés car ils passent beaucoup de temps dans l’eau.
Des seuils dépassant largement les valeurs médianes ont aussi été détectés pour le plomb et le zinc.
Aux Philippines, la situation liée au nickel n’est pas meilleure. Une évaluation de la bioaccumulation des métaux lourds dans les mollusques trouvés dans les mangroves exposées aux effluents miniers révèle que les concentrations de métaux lourds dépassent les seuils de 182 % pour le nickel, de 685 % pour le cuivre et de 234 % pour le chrome [3].
Une autre étude d'impact, réalisée aux Philippines, révèle des concentrations élevées de nickel et de chrome dans les sédiments, ainsi qu'une forte accumulation de nickel, de fer et de chrome dans les palourdes [4]. De manière alarmante, l'évaluation indique également que l'accumulation de métaux lourds dans les grains de riz des rizières alimentées par de l'eau d'irrigation contaminée par l'exploitation minière était supérieure aux niveaux de sécurité.
L’usine Obsidian Stainless Steel (OSS), à Morosi (Konawe - Sulawesi Tenggara), produit de l’acier inoxydable et des “mattes de nickel” un matériau entrant dans la composition des batteries. Pour donner une idée de l’échelle, le tunnel de stockage de charbon lourd (utilisé comme réactif dans le raffinage) mesure près de 470 m de long. Les dépôts grisâtres en bas à gauche de la photo (et également visibles un peu partout) correspondent aux déchets des hauts-fourneaux que l’on appelle “laitier” ou scories. Ils sont ici utilisés pour remblayer la zone humide dans laquelle est implantée l’usine. Les eaux de surface de la zone présentent des colorations variant du marron-rougeâtre au noir profond… Les maisons, en bas à droite de l’image, sont des habitations de pêcheurs et agriculteurs, les gens continuent d’élever des poissons et des crevettes dans les bassins visibles et de cultiver du riz et autres denrées agricoles. (Source : V. Romera - HUMY ONG)
Références :
https://mongabay.co.id/2024/05/13/jejak-logam-berat-tambang-nikel-di-perairan-sulawesi-tenggara/
https://satyabumi.org/melacak-jejak-eksploitasi-tambang-nikel-melalui-urin-warga-kabaena/
Marbella, K. (2020). Heavy metal accumulation in molluscs as bioindicator of contamination in mangrove sediments in Lake Uacon, Candelaria, Zambales. Archīum Ateneo. https://archium.ateneo.edu/theses-dissertations/508/
Juganas, D., Abella, G.P, Sigua, G., Valera, M., Morales, E., Santos, L.M., et Villen, J.W. (2022). Rapport final : Impact Assessment of Mining Activity in Candelaria, Zambales, Philippines (Wet Season).