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Nickel-ecocide
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Les îles de Sulawesi et de Halmahera, en plein cœur du Triangle de Corail, sont aussi partie intégrante d’un des principaux hotspots de biodiversité mondiaux : Wallacea Hotspot.

Hotspot Wallacea avec localisation des Key Biodiversity Areas (KBA) concernées : en orange les KBA évaluées comme prioritaires et en magenta les autres KBA. Source : Critical Ecosystem Partnership Fund (CEPF) [1].

Une industrie qui détruit des écosystèmes forestiers clés

Les écosystèmes forestiers concernés par l’extraction du nickel sont les forêts ultramafiques. Les sols du même nom – ultramafiques – présentent naturellement des teneurs en métaux lourds particulièrement élevés dont le fameux nickel. A l’échelle mondiale les forêts ultramafiques sont extrêmement rares et l’île de Sulawesi est la région qui en abrite le plus. Ces écosystèmes particuliers hébergent une flore et une faune très spéciales dont la majorité des espèces sont endémiques. Une étude publiée en 2024 par Dinerstein et al. [2], listant les écosystèmes évalués comme prioritaires afin d’enrayer l’effondrement de la biodiversité et stopper la perte de la « biodiversité irremplaçable », présente les forêts de Sulawesi comme parmi les plus importantes dans le monde. Pourtant ces hauts lieux de biodiversité sont en train d’être transformés en de vastes terrains vagues stériles.

Sans intervention ceci est un paysage condamné à la destruction : forêts ultramafiques et zone humide associée au lac temporaire Hiuka.

De sérieuses menaces pour des sites uniques au monde et pour la ressource en eau

Lac temporaire Hiuka en pleine saison des pluies.

A l’image de la zone humide Hiuka où Naturevolution, HUMY et l’Université Halu Oleo (UHO) de Kendari ont organisé la première expédition scientifique en août 2024, l’industrie du nickel condamne de véritables joyaux de biodiversité. En effet, Hiuka, lac temporaire de plus de 100 ha qui se remplit et se vide dans l’année et sa zone humide associée, sont voués à disparaitre si rien n’est fait rapidement. Cet écosystème exceptionnel, pouvant être considéré comme unique au monde, est aujourd’hui le théâtre d’un projet de mine de nickel de 5000 ha porté par la société PT Homkey Inti Prima. Si cette mine voit le jour, les conséquences seraient catastrophiques pour la biodiversité et la population de la région. Convertir une zone humide en mine à ciel ouvert devrait entrainer la formation d’une cuve de boues toxiques qui risque de contaminer aux métaux lourds les nappes phréatiques, ce qui serait dramatique.

En plus de présenter une biodiversité incroyable, Hiuka est aussi un site important d’un point de vue archéologique. De nombreuses céramiques y ont été découvertes dans les cavités qui entourent la zone humide, elles dateraient de la période austronésienne (entre 3000 et 4000 ans).

Vues aériennes du lac temporaire Hiuka en saison des pluies (photos gauche et droite) et durant sa vidange naturelle (au centre).

Une véritable épée de Damoclès au-dessus du Triangle de Corail

Le Triangle de Corail est la zone marine la plus biodiverse au monde, et de très loin ! Il abrite plus de 76% des espèces de coraux du monde et plus de 37% des espèces de poissons de récifs connues. Cette région marine accueille également 6 des 7 espèces de tortues marines et des populations importantes d’espèces “clés de voute” comme les requins-baleines. Constituant plus de 30% de la totalité des récifs, il n’y a aucune équivalence dans le monde. Plus de 120 millions de personnes vivent dans le Triangle du corail et dépendent des récifs coralliens qui assurent leurs moyens de subsistance. [3]

Diversité d’espèces de coraux (formant des récifs) dans le monde, la zone rouge foncé (de 501 à 600 espèces) correspond au Triangle de Corail. Source : The Nature Conservancy [4]

Eretmochelys imbricata

Archipel de Sombori - Sulawesi Sud-Est

Les coraux souffrent depuis maintenant de nombreuses années de phénomènes de blanchiment massif, qui est une conséquence du réchauffement et de l’acidification des océans. Le lessivage des sols dans les zones minières, se traduit par une sédimentation importante et une destruction directe des récifs par asphyxie sur les fonds marins les plus proches. Au-delà de cet effet dévastateur, les sédiments se propagent et se diffusent aussi dans la mer. Les nombreuses barges qui sont remorquées depuis les sites d’extraction vers les raffineries, occasionnent elles aussi des pertes de matériaux. Ceci accroît la quantité de matières en suspension et par conséquent contribue à l’augmentation de la température de l’eau.

Récif corallien en bon état

Récif corallien détruit, zone minière de Konawe Utara - Sulawesi Tenggara.

Mines de Mandiodo propriétés de PT Cinta Jaya & PT Aneka Tambang TBK, à droite le village de pêcheurs de Tapunggaya. La couleur verte de l’eau n’a rien de naturelle, elle est due à l’importante quantité de sédiments en suspension dans la baie. Konawe Utara - Sulawesi Tenggara, mars 2024.

Étonnamment, seules quelques rares études scientifiques se sont intéressées à l’impact sur les coraux des métaux lourds liés aux mines. Malgré le manque de publications, les conclusions de ces études sont alarmantes : le nickel dissous dans les eaux marines “à forte concentration, fait blanchir les coraux” [5] et “à faible concentration il perturbe le succès de reproduction”[6], cela a été prouvé à minima pour les coraux du genre Acropora sp. Concernant le cadmium, une autre étude montre qu’à des moyens à élevés les coraux blanchissent [7] et à des concentrations plus élevées le cadmium peut entrainer la mort des coraux [8]. Les informations manquent pour réellement évaluer les impacts sur les écosystèmes marins des effluents non traités des mines. En effet, si les études sont réalisées en utilisant un ou deux polluants en même temps, qu’en est-il d’un cocktail combinant cadmium, nickel, chrome hexavalent, plomb dans les mêmes eaux ? Dans le détail scientifique, la question reste entière, dans les effets visibles les récifs meurent et les poissons disparaissent…

Sur les photos, les dépôts de sédiments orangés recouvrent les coraux et les fonds marins. Il est consternant de voir que les récifs sont vides : pas de poissons visibles, pas de vie apparente… en revanche les particules de sédiments en suspension, sont bien visibles. Côte orientale de Sulawesi Tenggara.

Cette destruction des fonds marins accompagnée d’un effondrement des stocks halieutiques est rapportée dans la quasi totalité des zones où des mines de nickel ont été ouvertes en Indonésie : communautés de pêcheurs Bajau partout le long des côtes de Sulawesi Tenggara mais aussi à Halmahera. Mais pas seulement… 

Margaux Maurel, une chercheuse française, étudie les impacts socio-économiques des mines de nickel aux Philippines. Elle a recueilli une très grande quantité de témoignages de communautés locales et ONGs qui dressent le même constat : un effondrement de la biodiversité marine suite à l’ouverture des mines !

A eux deux, les “états-archipels” que constituent l’Indonésie et les Philippines couvrent environ les deux tiers du Triangle de Corail.

Focus sur l’île de Kabaena

Pulau Kabaena, petite île d’une surface de 891 km², est située à quelques kilomètres au large de la pointe sud de Sulawesi Tenggara. Elle est actuellement recouverte à plus de 73% par des concessions minières dont la très grande majorité concerne le nickel. Pourtant, la loi indonésienne sur la gestion côtière et les petites îles (Law Number 1 of 2014 on the Management of Coastal Areas and Small Islands - Law No. 1/2014) interdit toutes activités d’extraction sur des îles de moins de 2000km².

L’une de ces concessions de nickel, propriété du groupe PT Tonia Mitra Sejahtera (PT TMS), dont l’activité est déjà illégale, est aussi en train de raser une forêt protégée par la loi indonésienne. En octobre 2024, l’exploitant minier avait déjà détruit 164 des 540 ha de cette forêt protégée (voir carte ci-dessous).  PT TMS est aussi accusé par les habitants de polluer la ressource en eau, il se trouve que la concession est positionnée sur le mont Sabanano qui est la source de diverses rivières alimentant en eau potable plusieurs milliers de personnes.

Les équipes de Satya Bumi révèlent des concentrations concernant : nickel, sulfate, cadmium, mercure et plomb, 200% à 7000% supérieures aux seuils considérés acceptables pour les écosystèmes aquatiques marins et fluviaux. Toujours dans le cadre des études indépendantes de cette ONG, des analyses écotoxicologiques des mollusques ont aussi été réalisées. Là encore les résultats sont effroyables avec des taux de nickel atteignant 43 à 96 fois les seuils limites fixés par l’Organisation Mondiale de la Santé. [9]

Grâce au travail d’investigation de l’ONG Satya Bumi, la chaîne d’approvisionnement à laquelle est intégrée la production de minerai de PT TMS est aujourd’hui connue. Ainsi, la société Sulawesi Mining Investment (SMI), propriétaire de smelters de technologie dite « High-Pressure Acid Leach » (HPAL), produit du nickel enrichi, du « Mixed Hydroxide Precipitate » (MHP) et du « Mixed Sulfite Precipitate » (MSP), qui sont des composants nécessaires dans la fabrication des cathodes de batteries.

Chaîne d’approvisionnement depuis la société minière PT TMS aux constructeurs automobiles. Source : Satya Bumi - 2024

Ainsi, PT TMS participe à l’approvisionnement de grands groupes automobiles occidentaux tels que : PSA, BMW, VW, Tesla, GM, Ford, Volvo, Daimler / Mercedes-Benz, les groupes japonais Toyota et Honda, ainsi que 11 groupes chinois. Entre les smelters et les constructeurs automobiles, il y a un intermédiaire clé : le fabricant de batteries, ici ce sont les deux géants du secteur : Samsung SDI et CATL qui produisent les batteries pour la plupart des firmes occidentales.

La multiplication galopante des mines, surtout en zone littorale, le sous-dimensionnement ou l’absence de bassins de rétention/décantation, la non remise en état après exploitation, le lessivage massif des sols pendant les moussons, les rejets industriels souvent “sauvages” des complexes de raffinage, sont autant de facteurs inquiétants laissant craindre le pire.

Si rien n’est entrepris pour essayer d’enrayer l’écocide lié au nickel, la perte de tout ou partie du Triangle de Corail apparait comme un scénario à prendre au sérieux.

Références :

  1. https://www.cepf.net/our-work/biodiversity-hotspots/wallacea

  2. Dinerstein E., Joshi A.R., Hahn N.R., Lee A.T.L., Vynne C., Burkart K., Asner G.P., Beckham C., Ceballos G., Cuthbert R., Dirzo R., Fankem O., Hertel S., Li B.V., Mellin H., Pharand-Deschênes F., Olson D., Pandav B., Peres C.A., Putra R., Rosenthal A., Verwer C., Wikramanayake E. et Zolli A., 2024. "Conservation Imperatives : securing the last unprotected terrestrial sites harboring irreplaceable biodiversity". Front Sci (2024) 2:1349350.

  3. https://www.wwf.fr/espaces-prioritaires/triangle-du-corail

  4. Coral Triangle Facts, Figures and Calculations: Patterns of Biodiversity and Endemism, December 2008 compiled by The Nature Conservancy.

  5. Megan L. Gillmore, Francesca Gissi, Lisa A. Golding, Jenny L. Stauber, Amanda J. Reichelt-Brushett, Andrea Severati, Craig A. Humphrey & Dianne F. Jolley, 2020. Effects of dissolved nickel and nickel-contaminated suspended sediment on the scleractinian coral, Acropora muricata. Marine Pollution Bulletin

    Volume 152, March 2020. https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2020.110886

  6. Francesca Gissi, Jenny Stauber, Amanda Reichelt-Brushett, Peter L. Harrison & Dianne F. Jolley, 2017. Inhibition in fertilisation of coral gametes following exposure to nickel and copper. Ecotoxicology and Environmental Safety

    Volume 145, November 2017, Pages 32-41 https://doi.org/10.1016/j.ecoenv.2017.07.009

  7. Zhi Zhou, Xiaopeng Yu, Jia Tang, Yibo Wu, Lingui Wang & Bo Huang, 2018. Systemic response of the stony coral Pocillopora damicornis against acute cadmium stress. Aquatic Toxicology Volume 194, January 2018, Pages 132-139 https://doi.org/10.1016/j.aquatox.2017.11.013

  8. Carys L. Mitchelmore, E. Alan Verde & Virginia M. Weis, 2007. Uptake and partitioning of copper and cadmium in the coral Pocillopora damicornis. Aquatic Toxicology Volume 85, Issue 1, 15 November 2007, Pages 48-56 https://doi.org/10.1016/j.aquatox.2007.07.015

  9. Dhany Alfalah, Sayyidatiihayaa Afra & Didi Hardiana, 2024. How the Nickel Rush Ravaged Kabaena Island and the Bajau People’s Livelihood. Satya Bumi - Report 64p https://satyabumi.org/report-nickel-rush-kabaena-bajau/